La déclaration d'indépendance suspendue de la Catalogne: une "première" sur la scène internationale

Avant hier soir (le 10 octobre 2017), le Président de la Catalogne, Carles Puidgement a déclaré l'indépendance de la Catalogne avec un discours très attendu devant le Parlement catalan. Toutefois, quelques instants après avoir prononcé le mot "indépendance", il a tout de suite suspendu les effets de sa déclaration afin de pouvoir débuter des négociations avec le Gouvernement espagnol de Madrid.
Avec une telle décision Puigdemont a cherché à tenir ensemble la coalition politique très varie qui le soutient, tout en reconnaissant le résultat du référendum populaire sans interrompre brusquement les rapports avec l'Espagne.

Puigdemont a reconnu les résultats du référendum portant demande d'indépendance de la Catalogne du 1er octobre dernier, considéré, par la magistrature et par le Gouvernement espagnol, illégal, tout en annonçant vouloir assumer le défi que le peuple de Catalogne devienne un État indépendant sous forme de République.

Après la séance parlementaire, les députés de la coalition de Gouvernement et leurs alliés ont signé un texte portant déclaration d'indépendance: le document signé, toutefois, ne sera pas publié dans le registre officiel du Gouvernement catalan et, par conséquent, il n'aura pas, pour l'instant, des effets légaux.

Dans les heures successives à l'annonce, il y a eu beaucoup de confusion sur la réelle signification de la déclaration d'indépendance e sur ses conséquences. Avant, pendant et après la séance parlementaire, en outre, on a vu apparaître des divisions dans le front indépendantiste qui n'ont en rien aidé à comprendre ce qui était réellement en train de se passe.

Partons du début.

Y a-il eu déclaration d'indépendance ou pas?

Si on simplifie, on pourrait répondre par l'affirmative: il y a bien eu une déclaration d'indépendance, mais cette fois, du moins pour le moment, n'aura pas d'effets légaux. Concrètement, le Gouvernement, mené par le président catalan Puigdemont a décider d'opter pour celle que les journaux espagnols appelé, dans les journées passés, "declaración en diferito", voire déclaration différée, c'est-à-dire une déclaration d'indépendance dont l'application est reportée au futur. On ne sait pas encore quand exactement.

Dans le passage le plus important de sa déclaration, Puigdemont a affirmé:

"Arrivés à ce moment historique, en tant que Président de la Generalitat (gouvernement catalan), j'assume, en présentant les résultats du référendum devant vous tous et devant nos citoyens, le mandat afin que le peuple de la Catalogne devienne un État indépendant sous la forme républicaine. C'est ça ce que l'on fait aujourd'hui avec la plus haute solennité, par responsabilité et respect. Et avec la même solennité, le gouvernement et moi-même, nous proposons que le Parlement suspende les effets de la déclaration d'indépendance de telle manière à ce que dans les prochaines semaines, un dialogue puisse commencer, à défaut duquel une solution concordée ne saurait être possible".

Il n'y a pas réellement de doutes sur le fait que le gouvernement catalan considère celle d'avant hier comme une véritable déclaration d'indépendance. Après la séance parlementaire, les députés de Junts tel Sí, la coalition indépendantiste au gouvernement et de la CUP, parti indépendantiste d'extreme gauche qui appuie le gouvernement Puigdemont, ont signé un texte, qui n'a aucune valeur juridique, dans lequel on proclame la naissance de la République catalane et qui commence avec ces termes:
"Au peuple de la Catalogne et à tous les peuples du monde, la justice et les droit de l'homme individuels et collectifs intrinsèques, fondamentaux et incontournables qui confèrent du sens à la légitimité historique et à la tradition juridique et institutionnelle de la Catalogne sont la base de la constitution de la République catalane".

Ensuite, les députés qui soutiennent le gouvernement ont chanté l'hymne catalan, "Les Segador" et ont proclamé la naissance de la nouvelle République de Catalogne. Il s'est agi d'une cérémonie officielle sans acte officiel.

Pourquoi on parle alors de divisions au sein du front indépendantiste?

Hier on a pu constater l'émergence publique de désaccords entre Junts pel Sí et la CUP. Junt pel est une coalitions née lors des dernières élections régionales, en 2015 et formée par partis bien différents entre eux. Par exemple, on y retrouve PDeCAT, le parti démocratique européen catalan, de droite, auquel il appartient aussi le Président Puigdemont. La CUP, quant à elle, est le parti d'extreme gauche, indépendantiste et marxiste, diamétralement opposé au PDeCAT mais avec, en commun, la volonté d'obtenir l'indépendance.

Le 10 octobre, avant le début de la séance parlementaire fixée pour 18 heures, Puigdemont s'est affronté avec la CU qui affirmait que le discours que le président aurait lu quelques minutes après était trop soft. La CUP en effet attendait une déclaration d'indépendance avec des effets immédiats. C'est à cause de ces divergences que le discours du président a été retardé d'une heure. Ces divergences, d'ailleurs, ont été constatées aussi après le discours, car les députés de la CUP n'ont guère applaudi au discours, malgré leur consentement au gouvernement au pouvoir. La leader de ce parti, Anna Gabriel, a affirmé peu après :" aujourd'hui on aurait dû proclamer une République catalane. Nous avons probablement perdu une occasion pour ce faire".

Malgré tous ces différends, une cérémonie de signature de la déclaration d'indépendance a quand même eu lieu, même si, non pas sous la forme d'"acte juridique", mais plutôt sous la forme d'acte politique.

On peut en effet se demander si la Cour constitutionnelle espagnole n'aurait pas, au cas où on était en présence d'un acte juridique, le considérer comme inconstitutionnel et annuler, par conséquent, tout le processus.

Il y a donc bien deux documents qui ont été signés: une déclaration d'indépendance, avec la CUP, et une suspension des effets de celle-ci, sans la CUP. Les deux documents n'ont aucune valeur juridique réelle, afin d'éviter l'intervention de la magistrature espagnole.

À la fin de cette cérémonie, le porte-parole de la CUP, Qui Arrifat, a affirmé que les députés de son parti ne participerons plus aux travaux parlementaires jusqu'à ce que de vrais pas vers l'avant ne soient réellement accomplis et donc jusqu'à une indépendance réelle avec des effets juridiques.
Or à défaut de participation de la CUP aux activités parlementaires, les conséquences pourraient être très lourdes. EN effet, sans les votes de la CUP, le gouvernement de Puigdemont perdrait sa majorité parlementaire.

Il n'est pas clair s'il s'agisse d'une brèche irréversible au sein du front indépendantiste ou si la CUP ait pris une position si nette seulement pour rassurer son électorat, déçu par l'incertitude provoquée par le discours de Puigdemont. La réponse ne pourra être apportée que dans quelques jours, lorsque les intentions du gouvernement catalan deviendront plus claires.



Quid des autres partis politiques et du Gouvernement espagnol?

Tous les partis politiques espagnols ne sont point d'accord sur ce qui s'est passé le 10 octobre dernier: selon certains, Puigdemont n'a prononcé aucune déclaration d'indépendance; pour d'autres, c'est l'inverse. Dans la première catégorie on retrouve Podemos qui, dans les derniers jours avait cherché à remplir l'espace politique qui s'était créé avec la crise entre le gouvernement catalan et le gouvernement espagnol, en se présentant comme le parti du dialogue.

Pablo Iglesias, leader de Podemos, avait cherché à faire rencontrer Puigdemont et Mariano Rajoy, premier ministre espagnol, à se rencontrer et à commencer un dialogue, sans toutefois obtenir un résultat.

Il ne s'agit donc pas d'un moment simple. On ne sait pas encore quel type de mesures le Gouvernement espagnol décidera de prendre. Depuis plusieurs jours on parle de la possible application de l'article 155 de la Constitution, ce qui permettrait au Gouvernement de Madrid de suspendre l'autonomie de la Catalogne et substituer les membres de son Gouvernement.
Or le problème est que l'article 155 n'a jamais été appliqué et n'est pas clair ce qu'il signifie concrètement l'expression "suspendre l'autonomie" d'une région espagnole.

Il faut en outre considérer que la Catalogne dispose d'une force de police qui répond aux ordres directs du gouvernement catalan, les Mossos d'Esquadra, qui, déjà le jour du référendum, avaient montré d'être près proches de la cause indépendantiste. Comment pourront-ils régir dans le cas d'une réaction forte par Madrid?

La question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir qu'est-il réellement en train de se passer en Catalogne. S'agit-il vraiment d'une sécession? Est-elle juridiquement justifiée et valable?

Hier le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a demandé aux autorités catalanes de dire clairement si elles ont déclaré, mardi soir, l'indépendance de la région autonome, tant la confusion est forte.

Si on analyse la situation d'un point de vue juridique, le discours de Puigdemont ne produit pas d'effet juridique. Du point de vue de Madrid, le peuple catalan, qu'il ne reconnaît pas, s'est prononcé dans le cadre d'un référendum qui n'existe pas et a donné un mandat qui n'existe pas non plus. Puigdemont, en vertu d'une loi qui, selon Madrid, encore une fois, n'existe pas, puisqu'elle a été suspendue par le conseil constitutionnel, était tenu de déclarer l'indépendance à la suite du résultat du référendum. Ce qu'il a fait mardi soir, c'est suspendre le processus non reconnu par Madrid.

Pour attaquer juridiquement cette déclaration, c'est compliqué du point de vue de Madrid. Si on analyse les propos de Puigdemont, il n'y a pas de déclaration d'indépendance. Il a simplement dit qu'il y avait un mandat pour cela, mais que le peuple catalan n'entendait pas pour l'instant exercer ce droit.

Pourtant, le document signé à la suite du discours est clair : il constitue une république catalane. Mais cette déclaration a été signée en dehors du parlement catalan, par quelques députés qui ont signé en leur nom propre. Il semblerait donc plus un élément de pression qu'un document à valeur juridique contraignante.

D'un point de vue juridique, Puigdemont n'a donc pas enfreint la loi. Par conséquent, même la réaction du Gouvernement central de Madrid, à travers une première démarche d'activation de l'article 155 de la constitution par laquelle il demande une clarification au gouvernement catalan, c'est la seule réaction possible. C'est une mise en demeure à la Generalitat pour qu'elle qualifie la nature des actes qu'elle est en train d'entreprendre. Si, par la suite, le gouvernement espagnol considérera que ces actes sont contraires à l'intérêt général, il pourra intervenir par les moyens qu'il jugera nécessaires pour suspendre l'autonomie de la région.

Mais le gouvernement de Madrid est dans une situation difficile. Certes, il est assuré d'avoir l'approbation du Sénat pour poursuivre éventuellement l'activation de l'article 155, mais la demande doit être détaillée. On doit préciser quelles sont les atteintes graves à l'intérêt général et quelles sont les obligations imposées par la constitution ou les autres lois qui sont en train d'être violées. Il faut être très précis aussi sur les mesures nécessaires pour remédier à cette situation. Et surtout, ça a une vocation à être très limité dans le temps.

Pour conclure, on ne peut qu'affirmer qu'à aujourd'hui, on est en présence d'une "première" sur la scène internationale avec une "déclaration d'indépendance suspendue". Il faudra attendre encore un peu pour savoir si une telle déclaration constitue un véritable début du processus indépendantiste et sécessionniste ou s'il ne s'est agi que d'une démonstration de force afin de menacer le Gouvernement central à négocier un régime encore plus autonome, sans toutefois en arriver à une véritable sécession.

Affaire donc à suivre, pour le moment...




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