Somalie et défaillance étatique: un mariage indissoluble?
Les derniers événements à Mogadiscio font resurgir la question somalienne, et celle de sa défaillance.
L'attentat du 14 octobre, vraisemblablement mené par le groupe Al-Chabab, affilié à Al-Qaida, est le plus meurtrier jamais commis en Somalie.
La situation somalienne nécessite alors quelques explications. S'agit-il toujours d'un État défaillant?
Aujourd'hui, la Somalie est l'archétype d'État défaillant, victime de fléaux différents aboutissant à une désintégration intérieure.
Entre la piraterie, l'islamisme radical, les affrontements internes, la pauvreté, cet État vie dans une anarchie généralisée. Les attaques terroristes sont à l'ordre du jour et le dernier en est une ultime manifestation.
Cet État semble être la proie de la voracité des chefs de guerre et l'objet d'un abandon colossal par la communauté internationale toute entière. Après l'échec de la mission des Nations Unies et ses différentes tentatives pour sortir de cette situation si complexe où se mêlent intérêts économiques de puissances étrangères sans religion, intérêts personnels, désordre et divisions territoriales, cette crise est désormais devenue chronique. Cela prouve que ses racines sont beaucoup plus profondes de ce que l'on pourrait croire, mais aussi que les interventions internationales ne se sont pas avérées réellement efficaces.
Depuis 2012, un nouveau processus politique était en cours, marqué par l’adoption d’une constitution provisoire, la mise en place d’un nouveau parlement et l’élection par celui-ci d’Hassan Sheikh Mohamud au poste de Président. Les nouvelles autorités somaliennes s’étaient engagées à mettre en œuvre un agenda de réformes ambitieuses qui devait s’achever en 2016 par l’adoption d’une Constitution définitive, la mise en place d’une organisation administrative fédérale et l’organisation d’élections au suffrage universel pour le renouvellement du parlement et de la présidence.
Les retards pris dans le processus de transition, ainsi que la résilience du mouvement terroriste Al-Shabab, n’avaient pas permis la tenue des élections initialement prévues en septembre 2016. Après plusieurs reports successifs, les élections (en réalité un processus de sélection) ont abouti le 27 décembre 2016 à l’inauguration d’un nouveau parlement, celui-ci avait procédé à l’élection le 8 février 2017, d’un nouveau président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed dit Farmajo.
La situation s’était, malgré tout, améliorée ces dernières années grâce à l’engagement de la communauté internationale aux côtés de l’Union africaine. L’Union africaine déploie depuis 2007 une mission militaire en Somalie (AMISOM), autorisée par le Conseil de sécurité, pour lutter contre Al-Shabaab. Elle compte aujourd’hui environ 22000 hommes composée de contingents africains (Ethiopie, Djibouti, Kenya, Ouganda et Burundi).
Selon Amnesty International, la situation somalienne dans la dernière année, est la suivante:
"Le conflit armé opposant les forces du gouvernement fédéral somalien et les soldats de maintien de la paix de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) au groupe armé Al Shabab s’est poursuivi dans le centre et le sud du pays. Les forces gouvernementales et celles de l’AMISOM ont gardé le contrôle des régions du centre et du sud du pays dont elles étaient maîtresses. Plus de 50 000 civils ont été tués, blessés ou déplacés par le conflit armé et la violence généralisée. Toutes les parties au conflit se sont rendues coupables, en toute impunité, d’atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire, parfois constitutives de crimes de guerre. Les groupes armés ont continué d’enrôler des enfants et d’enlever et torturer des civils, ou de commettre des homicides illégaux contre la population civile. Le viol et les autres formes de violences sexuelles étaient des pratiques répandues. L’accès des organisations humanitaires à certaines régions était entravé par la poursuite des combats, l’insécurité et les restrictions imposées par les parties au conflit. Quelque 4,7 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire ; 950 000 souffraient d’insécurité alimentaire. Des dizaines de milliers de personnes ont été expulsées de force de leur domicile. La liberté d’expression a fait l’objet de restrictions : deux journalistes ont été tués et d’autres ont été agressés, harcelés ou condamnés à des amendes".
La résolution 2275 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies avait prorogé jusqu’au 31 mars 2017 le mandat de la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM), et la résolution 2297 avait prolongé celui de l’AMISOM jusqu’au 31 mai 2017. Les forces de sécurité gouvernementales et les milices alliées, ainsi que l’AMISOM, étaient toujours soutenues par la communauté internationale.
Mais malgré ces nombreux efforts, la situation en Somalie reste toujours critique.
On parle en effet d'un des premiers États défaillants au monde.
Un État défaillant est un État qui ne parvient pas à assurer ses missions essentielles, notamment le respect de l'État de droit, mais dont la condition statutaire est très complexe. Il se caractérise, selon les critères traditionnellement utilisés en droit international, par une incapacité à s'acquitter des fonctions régaliennes et à une dégénération dans la violence qui n'est plus sous le monopole étatique; par une incapacité de l'État à être durable et par des tentatives extérieures (internationales) pour rétablir la situations, sans réel succès.
Dans ce cadre, l'exercice effectif de la souveraineté est inhibé malgré une existence de jure toujours protégée. Ce qui signifie que l'État, malgré son caractère défaillant, demeure théoriquement un État souverain, dans lequel donc, en vertu du principe de non ingérence, il n'est possible d'intervenir qu'avec son consentement, ou sous l'égide d'une action multilatérale de reconstruction guidée par l'administration internationale, ce qui est plus communément connu sous le nom de "Nation building".
Fund for peace établit tous les ans une classification des différents États défaillants sur la scène internationale, en fonction d'indicateurs tels que la pression démographique, les mouvements massifs de réfugiés et de déplacés internes, les violences intestines, les inégalités de développement, le déclin économique, la criminalisation et la délégitimation de l'État et de ses services ...
La notion de défaillance demeure encore aujourd'hui une notion floue, malgré les nombreuses tentatives de définition. Malgré des entraves importantes à l'exercice de la souveraineté, l'Etat demeure quand même une personnalité juridique protégée par le droit international, mais ce droit n'arrive pas à résoudre les différentes situations de chaque cas d'espèce ni tous les conflits liés aux guerres civiles ou au rôle croissant des individus, entités privées, qui agissent contre l'État défaillant.
Du démantèlement de la Yougoslavie en plein coeur d'Europe, au Cambodge, en passant par le Libéria et le Soudan, aujourd'hui on constate donc un phénomène nouveau et inquiétant: l'effondrement de l'État-Nation. Pour parler de ce phénomène, on utilise souvent dans le langage international, l'expression "failed State" ou État défaillant et fait écho à l'incapacité de l'État et de son appareil de remplir ses fonctions essentielles, c'est-à-dire, en particulier, d'assurer la sécurité de sa population et la pérennité et la stabilité de son gouvernement. Il en résulte alors une situation de facto difficile à gérer avec nombreux troubles internes, avec souvent des conséquences aussi à l'extérieur des frontières internes (afflux massif de réfugiés, effet domino de l'instabilité politique, guerres civiles...), de sorte à mettre en péril la paix et la sécurité internationale. La Somalie en offre une macabre mais exemplaire illustration.
L'attentat du 14 octobre, vraisemblablement mené par le groupe Al-Chabab, affilié à Al-Qaida, est le plus meurtrier jamais commis en Somalie.
La situation somalienne nécessite alors quelques explications. S'agit-il toujours d'un État défaillant?
Aujourd'hui, la Somalie est l'archétype d'État défaillant, victime de fléaux différents aboutissant à une désintégration intérieure.
Entre la piraterie, l'islamisme radical, les affrontements internes, la pauvreté, cet État vie dans une anarchie généralisée. Les attaques terroristes sont à l'ordre du jour et le dernier en est une ultime manifestation.
Cet État semble être la proie de la voracité des chefs de guerre et l'objet d'un abandon colossal par la communauté internationale toute entière. Après l'échec de la mission des Nations Unies et ses différentes tentatives pour sortir de cette situation si complexe où se mêlent intérêts économiques de puissances étrangères sans religion, intérêts personnels, désordre et divisions territoriales, cette crise est désormais devenue chronique. Cela prouve que ses racines sont beaucoup plus profondes de ce que l'on pourrait croire, mais aussi que les interventions internationales ne se sont pas avérées réellement efficaces.
Depuis 2012, un nouveau processus politique était en cours, marqué par l’adoption d’une constitution provisoire, la mise en place d’un nouveau parlement et l’élection par celui-ci d’Hassan Sheikh Mohamud au poste de Président. Les nouvelles autorités somaliennes s’étaient engagées à mettre en œuvre un agenda de réformes ambitieuses qui devait s’achever en 2016 par l’adoption d’une Constitution définitive, la mise en place d’une organisation administrative fédérale et l’organisation d’élections au suffrage universel pour le renouvellement du parlement et de la présidence.
Les retards pris dans le processus de transition, ainsi que la résilience du mouvement terroriste Al-Shabab, n’avaient pas permis la tenue des élections initialement prévues en septembre 2016. Après plusieurs reports successifs, les élections (en réalité un processus de sélection) ont abouti le 27 décembre 2016 à l’inauguration d’un nouveau parlement, celui-ci avait procédé à l’élection le 8 février 2017, d’un nouveau président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed dit Farmajo.
La situation s’était, malgré tout, améliorée ces dernières années grâce à l’engagement de la communauté internationale aux côtés de l’Union africaine. L’Union africaine déploie depuis 2007 une mission militaire en Somalie (AMISOM), autorisée par le Conseil de sécurité, pour lutter contre Al-Shabaab. Elle compte aujourd’hui environ 22000 hommes composée de contingents africains (Ethiopie, Djibouti, Kenya, Ouganda et Burundi).
Selon Amnesty International, la situation somalienne dans la dernière année, est la suivante:
"Le conflit armé opposant les forces du gouvernement fédéral somalien et les soldats de maintien de la paix de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) au groupe armé Al Shabab s’est poursuivi dans le centre et le sud du pays. Les forces gouvernementales et celles de l’AMISOM ont gardé le contrôle des régions du centre et du sud du pays dont elles étaient maîtresses. Plus de 50 000 civils ont été tués, blessés ou déplacés par le conflit armé et la violence généralisée. Toutes les parties au conflit se sont rendues coupables, en toute impunité, d’atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire, parfois constitutives de crimes de guerre. Les groupes armés ont continué d’enrôler des enfants et d’enlever et torturer des civils, ou de commettre des homicides illégaux contre la population civile. Le viol et les autres formes de violences sexuelles étaient des pratiques répandues. L’accès des organisations humanitaires à certaines régions était entravé par la poursuite des combats, l’insécurité et les restrictions imposées par les parties au conflit. Quelque 4,7 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire ; 950 000 souffraient d’insécurité alimentaire. Des dizaines de milliers de personnes ont été expulsées de force de leur domicile. La liberté d’expression a fait l’objet de restrictions : deux journalistes ont été tués et d’autres ont été agressés, harcelés ou condamnés à des amendes".
La résolution 2275 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies avait prorogé jusqu’au 31 mars 2017 le mandat de la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM), et la résolution 2297 avait prolongé celui de l’AMISOM jusqu’au 31 mai 2017. Les forces de sécurité gouvernementales et les milices alliées, ainsi que l’AMISOM, étaient toujours soutenues par la communauté internationale.
Mais malgré ces nombreux efforts, la situation en Somalie reste toujours critique.
On parle en effet d'un des premiers États défaillants au monde.
Un État défaillant est un État qui ne parvient pas à assurer ses missions essentielles, notamment le respect de l'État de droit, mais dont la condition statutaire est très complexe. Il se caractérise, selon les critères traditionnellement utilisés en droit international, par une incapacité à s'acquitter des fonctions régaliennes et à une dégénération dans la violence qui n'est plus sous le monopole étatique; par une incapacité de l'État à être durable et par des tentatives extérieures (internationales) pour rétablir la situations, sans réel succès.
Dans ce cadre, l'exercice effectif de la souveraineté est inhibé malgré une existence de jure toujours protégée. Ce qui signifie que l'État, malgré son caractère défaillant, demeure théoriquement un État souverain, dans lequel donc, en vertu du principe de non ingérence, il n'est possible d'intervenir qu'avec son consentement, ou sous l'égide d'une action multilatérale de reconstruction guidée par l'administration internationale, ce qui est plus communément connu sous le nom de "Nation building".
Fund for peace établit tous les ans une classification des différents États défaillants sur la scène internationale, en fonction d'indicateurs tels que la pression démographique, les mouvements massifs de réfugiés et de déplacés internes, les violences intestines, les inégalités de développement, le déclin économique, la criminalisation et la délégitimation de l'État et de ses services ...
La notion de défaillance demeure encore aujourd'hui une notion floue, malgré les nombreuses tentatives de définition. Malgré des entraves importantes à l'exercice de la souveraineté, l'Etat demeure quand même une personnalité juridique protégée par le droit international, mais ce droit n'arrive pas à résoudre les différentes situations de chaque cas d'espèce ni tous les conflits liés aux guerres civiles ou au rôle croissant des individus, entités privées, qui agissent contre l'État défaillant.
Du démantèlement de la Yougoslavie en plein coeur d'Europe, au Cambodge, en passant par le Libéria et le Soudan, aujourd'hui on constate donc un phénomène nouveau et inquiétant: l'effondrement de l'État-Nation. Pour parler de ce phénomène, on utilise souvent dans le langage international, l'expression "failed State" ou État défaillant et fait écho à l'incapacité de l'État et de son appareil de remplir ses fonctions essentielles, c'est-à-dire, en particulier, d'assurer la sécurité de sa population et la pérennité et la stabilité de son gouvernement. Il en résulte alors une situation de facto difficile à gérer avec nombreux troubles internes, avec souvent des conséquences aussi à l'extérieur des frontières internes (afflux massif de réfugiés, effet domino de l'instabilité politique, guerres civiles...), de sorte à mettre en péril la paix et la sécurité internationale. La Somalie en offre une macabre mais exemplaire illustration.
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