Le principe de l'utilisation non dommageable du territoire, un principe presque inconnu ou souvent négligé

Un principe souvent inconnu, ou parfois connu mais mépris ou négligé, le principe de l'utilisation non dommageable du territoire est l'un des principes du droit international qui viennent préciser les conséquences concrètes de la compétence territoriale et souveraine des États sur la sphère internationale.

Principe rattaché à l'intégrité territoriale, mais aussi à la souveraineté étatique et à la protection de l'environnement, ce principe mérite une majeure attention et son respect, pour réellement être imposé, passe par une majeure connaissance et un plus profond éclairage sur son contenu.





La souveraineté de l’Etat n’implique nullement que celui-ci puisse s’affranchir des règles de droit international et déjà la Cour permanente de Justice internationale, dans son premier arrêt (Wimbledon), avait affirmé que la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l’Etat. En d’autres termes, rien n’est au dessus de l’Etat, rien ne dicte sa conduite mais c’est en ce que l’Etat est souverain qu’il peut seul décider lui même de limiter sa souveraineté en signant un traité par exemple.

La souveraineté des Etats implique qu’ils soient juridiquement égaux et dans une situation d’égalité de souveraineté par rapport aux autres. Principe rappelé dans tous les actes constitutifs des organisations. La coexistence des sujets égaux rend nécessaire la garantie des droits de chacun, aussi en premier lieu le respect du droit international est-il inséparable de la souveraineté. Par ailleurs, sans interdiction de l’ingérence dans les affaires intérieures, sans prohibition du recours à la force, sans obligation de règlement pacifique des différends, il ne pourrait y avoir de garantie réelle des droits de chaque Etat.

L’Etat dispose de l’exclusivité de juridiction sur son territoire. C’est la capacité la plus importante qui lui soit reconnue. Cette compétence est marquée par deux traits fondamentaux : la plénitude du contenu de cette souveraineté et l’exclusivité de son exercice.

Si Max Huber avait dégagé clairement ces caractéristiques de la souveraineté territoriale, en précisant que « la souveraineté signifie l’indépendance, l’indépendance est le droit d’exercer à l’exclusion de tt autre Etat des fonctions étatiques », l’arrêt Wimbledon avait montré que toute atteinte apportée à l’exercice des compétences discrétionnaires de l’Etat suppose toujours une acceptation de ce dernier, celle-ci manifestant de la sorte sa souveraineté territoriale.

La plénitude de la compétence territoriale de l’Etat signifie que ce sont ses propres lois qui s’appliquent sur son territoire, ses règlements, son administration de la justice et cette compétence s’applique à toutes les fonctions étatiques, qu’il s’agisse par exemple du maintien de l’ordre public, du statut des personnes ou encore de la réglementation de question économique. Mais l’évolution de la société internationale et les interdépendances de plus en plus marquées entre les Etats ont progressivement engendrées une acceptation de la part des Etats de délimitation apportée à leurs compétences souveraines. Dans le cadre de l’Union Européenne, elle crée des compétences étendues au profit de l’Union dans des domaines traditionnellement de la compétence de l’Etat tel que la monnaie, l’immigration…


L’exclusivité de la compétence territoriale signifie que chaque Etat exerce par l’unique intermédiaire de ses propres organes les pouvoirs de législation, d’administration et de contraintes sur son territoire. Les lois nationales ne produisent d’effet que sur les territoires des Etats et l’on considère comme illicite tt acte de contrainte en territoire étranger. En d’autres termes, l’exclusivité signifie que l’Etat a le droit de s’opposer à l’activité d’autres Etats sur son territoire.


Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Quel est le contenu de cette compétence ?
L’Etat est compétent pour organiser comme il l’entend son pouvoir politique, son organisation constitutionnelle et son système éco et social. Pour ce faire, il édicte des règles de droit et il est compétent pour en assurer l’exécution et la sanction, ce que l’on désigne par les expressions «compétence juridictionnelle, d’édiction et d’exécution ».


Dans ce contenu, il faut remarquer que le respect des droits des Etats tiers constitue une obligation égale qui découle d’une règle de conduite fondamentale en droit international, règle selon laquelle un Etat ne saurait tolérer sur son territoire des actes portant atteinte à l’intégrité d’un Etat tiers. Un Etat ne saurait tolérer par exemple l’entrainement d’individus en vue de troubler l’ordre public d’un Etat voisin : contentieux qui a opposé la France et l’Espagne sur l’activité des groupes terroristes basques. L’Espagne a souvent demandé à la France de contrôler ces activités et de faire en sorte que le territoire français ne soit pas utilisé de façon qui lui soit préjudiciable.
C’est la règle de l’utilisation non dommageable du territoire qui a trouvé une grande application en droit international de l’environnement.


L’Etat a l’obligation de protéger la personne même des étrangers mais également leurs biens : respect des étrangers dans l’Etat. L’Etat leur doit donc sécurité et protection. Par exemple, on pourrait rappeler l'affaire du lynchage des Italiens à la Nouvelle Orléans : le 14 mars 1891, des ressortissants italiens soupçonnés de meurtre furent assassinés par la foule dans leur prison. Le gouvernement italien estima que la responsabilité des États Unis était engagée pour absence de protection due aux résidents étrangers. L’affaire avait été réglée à l’amiable par les deux Etats avec expression de ses regrets par l’Etat et versement d’indemnités aux familles des victimes


Or, on connait bien tous les droits internationaux attachés au territoire, dont certainement le plus important est le principe de l'intégrité territoriale, qui protège le territoire de l'État. En raison de ce principe, il ne peut y avoir aucune interférence avec le territoire d'un autre État (que ce soit sous-sol, sol, espace aérien, maritime).

L'utilisation non dommageable du territoire vient donc se rajouter à l'intégrité territoriale.

L'État est souverain sur son territoire mais il ne peut pas exercer cette souveraineté de façon négative envers les autres États. Il y a des règles de bon voisinage en droit international. Par exemple sur l'utilisation des eaux des fleuves internationaux.

Voir par exemple l'affaire de la fonderie de Trail, affaire d'arbitrage réglée dans les années 1950. Des fumées provenant d'usines canadiennes et émanant des fumées toxiques étaient allées se répandre dans les nuages au-dessus du territoire des États Unis et avaient endommagé les récoltes de paysans américains. Le Canada n'avait rien fait volontairement mais son territoire avait entraîné un dommage envers les USA.
Par conséquent, si un État produit un dommage via son territoire il doit payer des dommages et intérêts au pays victime.


Actuellement, la souveraineté des États est régie par un ensemble de règles de droit qui appréhendent de manière distincte les composantes du territoire selon qu’il s’agit des terres ou/et de l’eau des mers et encouragent l’occupation effective. D’un autre côté, l’idée de bonne gouvernance du territoire a subi des transformations dans le temps et aujourd’hui les responsabilités de l’État envers le territoire et ses communautés commandent de protéger les ressources naturelles et les droits des personnes vivant dans ces milieux.

Dans les années 1970, à l’heure de la « révolution environnementale mondiale », la souveraineté territoriale des États faisait l’objet de critiques en étant perçue comme une entrave à la protection internationale de l’environnement.

Plus tard, des auteurs ont montré comment les États ont su répondre à ces critiques en s’adaptant et en renforçant leur rôle à travers l’adoption de nouvelles normes internationales. Suivant ces auteurs, la capacité de résilience de la souveraineté étatique tend à prouver que c’est non pas contre l’État, mais sur lui, qu’il faut compter pour assurer la préservation de l’environnement mondial. En ce sens, ce n’est pas l’existence même de la souveraineté qui est débattue, mais son contenu, c’est-à-dire l’exercice de la bonne gouvernance et les droits et obligations qu’elle comporte pour l’État.
Plus qu’une simple stratégie de développement, la bonne gouvernance est constituée d’un ensemble de normes sociales et de règles de droit qui impliquent des responsabilités pour l’État.

C’est dans ce cadre que s’insère le principe de l’utilisation non dommageable du territoire, ou principe 21.

Le « principe 21 », ainsi dénommé car il était le vingt et unième principe de la déclaration de Stockholm, se décompose en réalité en deux principes miroirs: le droit souverain de l'État d'exploiter ses ressources naturelles et le devoir de ne pas causer de dommages à l'environnement des autres États ou dans les espaces internationalisés. Général par son contenu comme par son champ d’application, le principe21 demeure cardinal aujourd'hui encore. On pourrait presque considérer que les autres règles coutumières en sont simplement déduites. Le principe 21 a vu son caractère coutumier consacré par la jurisprudence de la Cour internationale de justice à plusieurs reprises.


Posé pour la première fois comme 21ème principe de la déclaration de Stockholm en 1972, ce principe a été repris en 1992 dans une formulation très voisine dans la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement:

« Conformément à la Charte des NU et aux principes du DI, les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et de développement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction  ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale ».

Le principe 21 va affermir sans peine son caractère coutumier, dans la mesure où il trouve son fondement dans le respect de la souveraineté territoriale. Relevant  de l’interdiction de l’abus de droit ou de la due diligence, c’est un principe fondamental pour la coexistence  et le « bon voisinage » d’entités également souveraines. Développé à partir de l’affaire de la Fonderie du Trail, ce principe a acquis petit à petit une portée beaucoup plus large, notamment en étant énoncé par la CIJ, en 1949, d’une manière très générale:

« Aucun État ne peut utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États » et

« l'obligation pour tout Etat de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d'actes contraires aux droits d'autres Etats ».

Il s'agit là d'une conséquence directe de l'égalité et de la réciprocité des droits souverains. Ceci est particulièrement vrai s'agissant des conséquences des activités qu'un Etat déterminé peut entreprendre à l'intérieur de sa propre zone de compétences. Il devra veiller à s'assurer que des dommages ou préjudices divers ne seront pas entraînés sur le territoire des Etats par ses propres activités ou celles qu'il autorise. L'exercice par chacun de sa compétence territoriale, notamment en matière d'aménagement du territoire ou dans le cadre de l'exercice de sa souveraineté sur les ressources naturelles, ne peut s'effectuer que sans préjudice du droit des tiers.

Cette règle, de caractère coutumier, ne voit plus aujourd'hui sa portée restreinte aux seules relations de voisinage entre Etats limitrophes. Elle a notamment pris, sur la base du principe 21 de la Déclaration de Stockholm sur l'environnement humain (1972), une portée considérable dans le cadre du droit international de l'environnement confirmant sa portée coutumière.

Une consécration jurisprudentielle en est suivie.

Cette valeur coutumière a, en effet, été affirmée par la Cour internationale de justice, en particulier dans son avis consultatif de juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires; elle se déclarait « consciente de ce que l’environnement est menacé jour après jour et de ce que l’emploi d’armes nucléaires pourrait constituer une catastrophe pour le milieu naturel. Elle a également conscience que l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité  de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir. L’obligation générale qu’ont les États de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l’environnement ».

Elle en reprendra les termes un an plus tard dans le premier arrêt de son histoire spécifiquement consacré en bonne part au droit international de l'environnement. Il s'agit de sa décision intervenue en l'affaire du projet Gabcikovo-Nagymaros entre la Hongrie et la Slovaquie du 25 septembre 1997.

Dans chacune de ces espèces, elle déclare : «  l'obligation générale qu'ont les Etats de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l'environnement ».

Plus récemment, la Cour de La Haye a à nouveau observé que « le principe de prévention, en tant que règle coutumière, trouve son origine dans la diligence requise de l’État sur son territoire. (…) En effet, l’État est tenu de mettre en oeuvre tous le moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre État ».


À l’origine, cette obligation de prévention a été encadrée de sorte qu’elle joue peu. On a considéré, en effet, que la responsabilité d’un État ne pourrait être engagée pour un tel manquement qu’à trois conditions:
que s’il était établi que le dommage causé était prévisible
que le dommage était transfrontière
que ce dommage était grave ou sérieux

Mais ces conditions ont été progressivement assouplies. Il en est ainsi, notamment de l’exigence de gravité du dommage.
Les déclarations de Stockholm et de Rio se réfèrent seulement à un « dommage ».

Le projet d’articles de la CDI de 2001 sur la prévention utilise, quant à lui, le terme de dommage « significatif », c’est à dire, plus que « détectable », mais sans nécessairement atteindre le niveau de « grave » ou de « substantiel ». Le dommage doit se solder par un effet préjudiciable réel sur des choses telles que la santé de l’homme, les biens, l’environnement, l’industrie, l’agriculture dans d’autres États. Ces effets doivent pouvoir être mesurés à l’aide de critères factuels et objectifs.

Enfin, dans l’arrêt de l’Usine de pâte à papier, la Cour se réfère à la notion de « préjudice sensible », considérant que l’État est tenu « de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre État ».
Ainsi, les juges internationaux mettent véritablement à la charge des États une obligation de moyen et non pas de résultat.

Cependant l'obligation résultant du principe d'utilisation non-dommageable présente un caractère relatif et ne saurait entraver l'initiative de toute activité susceptible d'avoir des effets transfrontaliers.

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