Existe-t-il un droit international de délimitation terrestre?

La détermination d’une frontière est une opération très complexe dans laquelle interviennent plusieurs phases: outre la délimitation, opération sensible pour les États, la démarcation et  l’abornement sont souvent sources de discordes. La détermination d’une frontière terrestre est une opération de nature essentiellement politique qui ne répond à aucune règle de droit international, mais qui se trouve, le plus souvent, concrétisée par un traité. 
À défaut de règles précises et prévisibles, ce domaine est riche d’incertitude et les attentes des Etats sont souvent très importantes. Il existe toutefois des guides qui facilitent l’office du juge international et qui permettent de délimiter une frontière. Il ne faut néanmoins pas oublier   que chaque frontière est le produit de l’histoire et des spécificités locales, ainsi qu’une individualisation s’impose au cas par cas.  Si une application uniforme n'est donc pas toujours possible, les lignes guides adoptées par les juges internationaux consentent toutefois de suivre un processus assez constant qui se décompose en plusieurs étapes.
D'abord, la délimitation. Elle laisse aux parties la faculté de tracer une ligne qui sépare les territoires de deux Etats. C'est une opération longue et difficile. Un exemple assez emblématique est représenté par les frontières africaines car elle sont le résultat de partages d'enjeux et de zones d'influence, ainsi que de luttes intestines entre ethnies différentes. Dans la plupart des cas, il a été plus simple de fixer une limite au lieu d'une frontière au sens juridique. L'ut poissées fera la suite en fixant des frontières, d'ailleurs pas toujours délimitées. 
Ensuite, la démarcation. Il s'agit d'une ultérieure étape de la délimitation terrestre par laquelle on corrige les éventuels erreurs d'une manière plus technique que politique.
Enfin, par l'abornement, on fixe la frontière finale.
Les frontières terrestres sont donc déterminées par des faits historiques et politiques, alors que les frontières maritimes font l’objet d’une détermination juridique à travers des règles uniformisées par la coutume et les conventions du droit de la mer. La tendance à la  territorialisation du domaine maritime amène les États à des réflexes identiques à ceux concernant le territoire terrestre. Les frontières maritimes répondent à des règles juridiques formalisées, mais imparfaites. La délimitation maritime a fait l'objet d'une codification à laquelle la Cour internationale de justice de La Haye a amplement contribué par sa jurisprudence à la recherche de solutions uniformes. Ce résultat a enfin été atteint en 2010 avec le cas de délimitation en Mer Noire entre Roumanie et Ukraine, à l'occasion duquel l'unanimité des juges a permis de fixer un processus judiciaire à suivre pour les affaires successives.
En matière de délimitation terrestre, une telle uniformité est loin d'être achevée. Il s'agit d'un phénomène sui generis du droit international et qui fait l'objet d'un régime juridique dérogatoire. Si en effet, le droit est absent de la formation de la frontière terrestre, celle-ci va être très protégée juridiquement lorsque son établissement est reconnu. Son inviolabilité, son intangibilité et sa stabilité sont protégées par un caractère objectif qui fait des traités de frontières des accords hors normes dans la sphère internationale.
La jurisprudence confirme ce caractère particulier. Selon la Cour de La Haye, quand un traité existe et qu’il fournit un titre incontestable, ce traité est suffisant pour la détermination de la frontière. Le problème existe lorsque le traité fait défaut. Dans ces cas, le juge devra alors se tourner vers d'autres facteurs, pas toujours juridiques, afin d'éviter tout déni de justice et trancher le litige. Il utilisera alors une méthode dite du "faisceau d'indices" et qui n'est pas une vraie méthode. Comme son nom l'indique, en effet, le juge devra rechercher les indices, les facteurs ou les éléments qui lui permettent de comprendre la ligne de frontière entre les États concernés. L'ensemble des éléments les plus concordants entre eux, lui permettra ainsi de dessiner la frontière la plus probable, tout en tenant en considération les effectivités. 
Si une méthode uniforme est donc difficile à appliquer en raison de la contingence de chaque frontière terrestre, de son histoire, des enjeux économiques et politiques sous-jacents à sa délimitation et de toute une série de facteurs non juridiques, il est toutefois indéniable qu'un droit de délimitation existe au niveau international, car le contentieux terrestre est l'un des contentieux les plus anciens et car le juge international se trouve encore aujourd'hui à trancher un grand nombre de litiges relatifs à la délimitation entre États, même si longtemps après la colonisation.

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