Istanbul, 12 janvier 2016


Mardi 12 janvier 2016, une matinée fraîche, avec un vent léger en provenance du Bosphore...
Un bruit sombre, nerveux, accablant... Et c'est à nouveau nuit soudainement.

Ceci n'est pas un récit. 

Encore une fois le terrorisme de matrice islamique frappe le centre d'une ville en pleine effervescence. Place Sultanahmet c'est le coeur battant de l'ancienne Byzance, un lieu touristique parmi les plus connus au monde et amplement branché à proximité de la Mosquée bleue.

Lors de son premier discours télévisé après les événements, le Président Erdogan a affirmé  que l'attentat suicide est l'oeuvre d'un kamikaze syrien et le premier Ministre Davutoglu qu'il serait un membre de l'Etat islamique de provenance étrangère.  La police a par la suite confirmé que Nabil Fadli, un jeune homme saoudien, est le kamikaze qui s'est lancé parmi un groupe de touristes étrangers en visite à la ville, en tuant au moins 10 personnes, dont la plupart de nationalité allemande.

L'attentat d'aujourd'hui est une attaque au gouvernement d'Erdogan. Cela ne fait plus de doute. 

Dans les derniers mois, le terrorisme en Turquie a été une forme d'extension de la guerre entre kurds et Etat islamique, avec une probable connivence des services secrets. Aujourd'hui, la cible est la stratégie du président Erdogan en Syrie et en Iraq, en transformant Istanbul en théâtre de guerre du Moyen Orient, après les précédents attaques d'Ankara, Suruç et encore Istanbul.

Il est fort probable que l'ISIS essaie de transporter en Turquie la confrontation avec le PKK. De superpuissance régionale, la Turquie d'Erdogan se transforme jour après jour en modèle pour l'exportation du chaos: contraction de la croissance économique, stratégique défaillante anti-Assad, question kurde irrésolue et gel dans les relations avec Obama. C'est tous les facteurs qui mettent en péril les ambitions du nouveau "sultan" turc et le reflet de comment Erdogan est en train de détruire son propre pays.
Déjà lors des élections de 2011, Erdogan avait fait participer le Moyen Orient et les Balkans à la victoire du Parti Ak et porté à sublimation les eux traits essentiels de la géopolitique "néo-ottomane" qu'il entendait porter de l'avant avec son Premier Ministre Davutoglu: le contraste  entre la frontière juridique et la frontière géopolitique ainsi que le caractère inévitable de ma mission historique qu'Ankara était  appelée à accomplir dans ses frontières géopolitiques. A la base de la pensée stratégique ainsi formulée il y avait en effet la conviction que les frontières géopolitiques de la Turquie vont bien au-delà des frontières de la République turque et que celle-ci a une "responsabilité" historique au regard des pays et des peuples qui lui sont proches au Moyen Orient.

C'est dans ce cadre politique que s'insèrent les événements d'aujourd'hui qui ont fait d'Istanbul le macabre protagoniste.

De même, la politique contradictoire qui donne et qui enlève qu'Erdogan a voulu tenir dans les derniers mois à l'égard de l'Etat islamique à ses frontières avec la Syrie et l'Iraq n'est pas sans effets.

Il est certain que la liberté et les droits ne peuvent être pris en otages par les luttes géopolitiques des "représentants" des Etats. Il est aussi certain que ce sont toujours les populations, les premières à être visées, les premières à payer avec la vie le prix des erreurs et des ambitions sans pitié de la politique.
Il est certain que le terrorisme ne pourra jamais trouver une justification, même dans la politique la plus ambitieuse et inégale. Mais il est aussi certain que, dans un monde où le terrorisme est devenu l'arme la plus dangereuse, la moins prévisible et la plus meurtrière, tout facteur joue et devient aléa. Les politiciens devraient alors réfléchir encore plus profondément qu'auparavant à leurs actions, à leur politique et à leur conduite car les dangers d'aujourd'hui sont plus profonds qu'auparavant, ainsi que les conséquences et la rapidité des réactions, quoique immorales, injustifiées et injustes. 

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