Un bref rappel sur la politique de gestion des frontières extérieures de l'UE



La politique de gestion des frontières a connu des évolutions considérables ces dix dernières années, notamment la création d'instruments et d'agences tels que le système d'information Schengen, le système d'information sur les visas et l'agence de gestion des frontières Frontex. Après une courte période de consolidation, une nouvelle phase d'activité s'est ouverte pour faire face aux difficultés liées à l'afflux de réfugiés et de migrants, axée sur un soutien opérationnel plus direct et l'européanisation de la gestion des frontières.
La base juridique se trouve dans les Articles 67 et 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (traité FUE).

L'espace Schengen, zone unique sans contrôle aux frontières intérieures, requiert une politique commune de gestion des frontières extérieures. L'Union a par conséquent entrepris de définir des normes communes de contrôle à ses frontières extérieures et de mettre progressivement en place un système intégré de gestion de ces frontières.

Le premier pas vers une politique commune de gestion des frontières extérieures a été franchi le 14 juin 1985, lorsque cinq des dix États membres de la Communauté économique européenne d'alors ont signé l'accord de Schengen, qui a été complété cinq ans plus tard par la convention d'application de l'accord de Schengen. L'espace Schengen, zone sans frontières créée par l'acquis de Schengen (c'est ainsi que l'on nomme l'ensemble des accords et des règles y afférents), comprend actuellement 26 pays européens.


Les règles constituant l'acquis actuel de Schengen sur les frontières extérieures, qui repose sur l'acquis original intégré dans l'ordre juridique de l'Union par le Traité d'Amsterdam, se retrouvent dans une vaste série de mesures qui peuvent être divisées en cinq grandes catégories.

Tout d'abord, le socle sur lequel repose la gestion des frontières extérieures est le code frontières Schengen, qui établit les règles de franchissement des frontières extérieures et les modalités de réintroduction temporaire de contrôles aux frontières intérieures. Deuxièmement, puisque les États Schengen n'ont pas tous des frontières extérieures à contrôler et ne sont pas concernés dans la même mesure par les flux transfrontaliers, l'Union utilise ses fonds de sorte à compenser certains des coûts pesant sur les États membres situés à ses frontières extérieures. Pendant la période 2007-2013, ce mécanisme de répartition de la charge financière a pris la forme du Fonds pour les frontières extérieures. Celui-ci a été remplacé, pour la période 2014-2020, par le Fonds pour la sécurité intérieure — volet frontières et visas. La troisième catégorie de mesures porte sur la mise en place de bases de données centralisées destinées à la gestion des flux migratoires et des frontières: le système d'information Schengen (SIS), le système d'information sur les visas (VIS) et Eurodac, la base de données européenne des empreintes digitales pour l'identification des demandeurs d'asile et la bonne application du règlement de Dublin. Quatrièmement, un train de mesures relatives aux passeurs a été élaboré afin de prévenir et de punir l'entrée, le transit et le séjour irréguliers. Enfin, des mesures visant à instaurer une coopération opérationnelle en matière de gestion des frontières ont été mises en place, qui sont centrées sur l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (Frontex).

Le système d'information Schengen

Désormais dans sa deuxième génération, le système d'information Schengen fournit l'infrastructure de gestion de l'information nécessaire au contrôle des frontières et à la conduite des activités de coopération policière et judiciaire en matière de sécurité qui s'y rattachent. Les États participants introduisent des «alertes» concernant les personnes recherchées ou portées disparues, les biens perdus ou volés, ainsi que les interdictions d'entrée dans la base de données, qui peut être consultée directement par tous les officiers de police, ainsi que par les autres responsables du maintien de l'ordre et autorités ayant besoin des informations traitées par le système pour remplir leurs fonctions. Lorsque des informations supplémentaires sur les alertes dans le système d'information Schengen sont requises, ces informations sont échangées au moyen du réseau national de bureaux Sirene (Supplément d'information requis à l'entrée nationale), présents dans tous les États de l'espace Schengen. Ces bureaux coordonnent les réponses aux alertes enregistrées dans le SIS et veillent à ce que les mesures appropriées soient prises, par exemple en cas d'arrestation d'une personne recherchée, lorsqu'une personne qui s'est vu refuser l'entrée dans l'espace Schengen tente d'y entrer à nouveau, qu'un véhicule volé ou un document d'identité est saisi, etc. La mise en place du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II), qui présente de nouvelles fonctionnalités et caractéristiques telles que l'introduction de données biométriques et l'interconnexion des alertes, a été considérablement retardée en raison de la complexité technique du système. Elle était initialement prévue pour 2007, mais le système n'est devenu opérationnel que le 9 avril 2013. Le système, ainsi que les bases de données du VIS et d'Eurodac, est géré par la nouvelle Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, eu-LISA.

Le système d'information sur les visas (VIS)

Le but du VIS, qui est encore en cours de déploiement, est d'améliorer la mise en œuvre de la politique commune des visas, la coopération consulaire et les consultations entre les autorités centrales chargées des visas. Une fois que le VIS sera pleinement fonctionnel, il sera relié à tous les consulats des États Schengen compétents pour l'octroi des visas et à tous les points de passage des frontières extérieures. À ces points de passage, le VIS permet aux gardes-frontières de contrôler si une personne détenant un visa biométrique est bien la personne ayant demandé ce visa. Pour ce faire, ils comparent les empreintes digitales relevées avec celles de la signalétique biométrique du visa et avec le contenu de l'ensemble de la base de données du VIS. Lorsqu'il aura atteint sa pleine capacité, le VIS sera la plus grande base de données biométriques au monde. Des niveaux élevés de sécurité sont prévus dans le système, afin de garantir qu'il reste solide et disponible à tout moment et que les données soient uniquement accessibles aux personnes autorisées et à des fins autorisées. Le VIS est progressivement déployé dans les consulats des États Schengen, région par région (il existe 23 régions au total). Il a été mis en service dans tous les consulats des États Schengen compétents pour l'octroi de visas en Afrique du Nord dès octobre 2011, puis au Moyen-Orient en mai 2012. Le déploiement le plus récent a concerné la Russie en septembre 2015; le VIS devrait encore couvrir cinq régions supplémentaires à l’avenir.

Frontex

Comme l'architecture de la sécurité intérieure européenne, développée progressivement grâce à une coopération quotidienne, à la révision des traités et aux orientations politiques issues des conclusions du Conseil de Tampere et de ceux qui ont suivi, la sécurité des frontières a évolué pas à pas, partant de systèmes orientés vers la sécurité nationale pour aboutir à une plus grande coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Union. Même si la responsabilité du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures au quotidien demeure largement du ressort des États membres, les systèmes nationaux de sécurité des frontières sont, de manière croissante, complétés par un ensemble d'outils déployés à l'échelle européenne pour gérer les risques potentiels aux frontières extérieures.
Une des étapes essentielles de ce processus a été la création de Frontex. L'agence a commencé ses activités le 3 octobre 2005, sur la base du règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil. Après plusieurs vagues d'accroissement de ses ressources, elle compte actuellement à son service environ 240 fonctionnaires et 80 experts nationaux détachés. Son siège se trouve à Varsovie.
Frontex encourage une démarche intégrée de la gestion des frontières. Elle procède à des analyses des risques, élabore des programmes de formation pour les gardes-frontières et mène des activités de recherche. Elle joue également un rôle plus actif dans la coopération opérationnelle en coordonnant les opérations conjointes de gestion des frontières et en organisant des opérations de retour. Son mandat a été remanié par le règlement (UE) no 1168/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 et renforce ses capacités opérationnelles, tout en mettant davantage l'accent sur le respect des droits fondamentaux au cours de ses opérations. Il accroît également ses capacités de surveillance par la création du Centre de situation de Frontex et par celle d'Eurosur, un système d'échange d'informations pensé pour permettre un échange quasi-instantané de données sur les frontières entre Frontex et les États Schengen.



Depuis la création de Frontex, plusieurs mesures concrètes ont été prises afin de mettre en place une gestion des frontières extérieures plus intégrée: des modernisations importantes de l'infrastructure technique, de nombreuses opérations conjointes de gestion des frontières et la mise en place d'une capacité d'intervention rapide (d'abord avec les équipes d'intervention rapide aux frontières [RABIT], puis, depuis 2011, également avec des équipes européennes de gardes-frontières). Les nombreuses pertes de vies humaines en Méditerranée ces dernières années et l'afflux massif de réfugiés et de migrants en 2015 ont accéléré ces évolutions. Tout d'abord, plusieurs États membres ont mis en commun du personnel et des équipements dans le cadre de l'opération conjointe Triton, lancée fin 2014 et considérablement renforcée en 2015, dont la mission consiste à surveiller la frontière maritime, principalement entre la Libye et l'Italie, afin d'apporter un soutien opérationnel en première ligne à l'Italie. Cette opération est une réponse concrète à la fois à la crise humanitaire et au défi que celle-ci représente en matière de gestion des frontières.
À bien des égards, l'afflux actuel de réfugiés et de migrants entraîne l'européanisation de la gestion des frontières. Le Traité de Lisbonne prévoit une politique commune de gestion des frontières. Le programme de Stockholm a par conséquent appelé à envisager la possibilité de créer un système européen de gardes-frontières, appel simplement réitéré cinq ans plus tard dans les conclusions du Conseil européen de juin 2014. De la même manière, la crise des réfugiés et des migrants ainsi que les critiques constantes des États membres, qui reprochent à l'Union de mal contrôler ses frontières extérieures, ont incité la Commission à agir: elle s'est engagée à présenter d'ici la fin 2015 des propositions concernant le renforcement du mandat de Frontex et la création d'un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes. Dans le cadre de cette démarche opérationnelle directe, Frontex a également joué un rôle de premier plan dans la réponse aux défis qu'affrontent les États membres: la création d'équipes d'appui à la gestion des flux migratoires dans le cadre des centres d'enregistrement. Ces équipes sont gérées par le Bureau européen d'appui en matière d'asile (voir fiche 5.12.2), Europol (voir fiche 5.12.7) et Frontex, en partenariat avec les autorités nationales, et ont pour mission d'établir l'identité des migrants, d'opérer un tri et de les enregistrer à leur entrée dans l'Union, ainsi que d'organiser des opérations de retour pour ceux qui ne sont pas autorisés à rester. Frontex est le chef de file de la task force régionale de l'Union sise à Catane, et est responsable des premières équipes d'appui créées en Italie.
Hormis la priorité donnée à la gestion de l'afflux massif de réfugiés et de migrants, l'autre évolution importante en matière de gestion des frontières est axée sur le paquet «frontières intelligentes», qui vise à moderniser la gestion des frontières en automatisant les contrôles aux frontières et en renforçant les informations à l'entrée et à la sortie. Le système a été proposé pour la première fois dans la série de communications de la Commission sur le «paquet frontières de l'Union européenne» et intégré par la suite au programme de Stockholm de 2009. Le 25 octobre 2011, la Commission a présenté une communication sur les frontières intelligentes, puis la proposition législative correspondante le 28 février 2013. Ce paquet, qui vise à accélérer, simplifier et renforcer les procédures de contrôle aux frontières pour les ressortissants étrangers se rendant dans l'Union, comprend deux parties:

- un système d'entrée/sortie (EES) qui enregistrerait dans une base de données électronique la date et le lieu d'entrée, ainsi que la durée du court séjour autorisé, et remplacerait le système actuel d'apposition de cachets sur les passeports. Ces données seraient ensuite mises à la disposition des autorités chargées du contrôle aux frontières et de l'immigration;
- un programme d'enregistrement des voyageurs (RTP), qui simplifierait les vérifications aux frontières pour certaines catégories de voyageurs réguliers en provenance de pays tiers (personnes en déplacement professionnel, membres de la famille de citoyens de l'Union, etc.) qui pourraient, après avoir fait l'objet d'une procédure adéquate d'examen préalable, entrer dans l'Union en franchissant des barrières automatiques. Ce programme est conçu pour permettre chaque année à quatre à cinq millions de voyageurs de franchir les frontières plus rapidement et pour ouvrir la voie à davantage d'investissements dans des systèmes de contrôle automatisés et modernes (utilisant par exemple des passeports électroniques) aux principaux points de passage frontaliers.

Du fait de doutes concernant le chiffrage initial du coût du paquet «frontières intelligentes», la faisabilité technique du système et les avantages attendus, la Commission a décidé de commander une étude technique complémentaire, qui a été livrée en octobre 2014. Une batterie de tests pratiques et opérationnels est en cours, pendant l'année 2015, sous l'égide d'eu-LISA. La Commission a annoncé son intention de présenter une proposition législative remaniée début 2016, lorsque cette phase de test sera terminée.


Au Parlement européen, les réactions à la mise en place d'une politique de gestion des frontières extérieures ont été mitigées. Le Parlement a salué, de manière générale, le renforcement du rôle organisationnel de Frontex, appelant régulièrement de ses vœux un renforcement du rôle de l'agence à une période où l'Union doit affronter une crise migratoire en Méditerranée. En effet, dans sa résolution du 2 avril 2014 sur l'examen à mi-parcours du programme de Stockholm, il se dit «d'avis que les frontières extérieures de l'espace Schengen devraient être contrôlées à l'avenir avec l'aide de gardes-frontières européens». Dans sa résolution du 10 septembre 2015 sur la migration et les réfugiés en Europe, il «se félicite du soutien opérationnel que la Commission fournira aux États membres qui se trouvent en première ligne [...] via des 'points d'accès'», tout en insistant sur le fait que, pour être efficace, cette solution devra s'accompagner d'un système fonctionnel de relocalisation (voir fiche 5.12.2). Si le Parlement soutient la mise en place d'une approche commune de la gestion des frontières extérieures, il exprime cependant des inquiétudes quant à l'absence de contrôle parlementaire sur Frontex et de système solide permettant de garantir le respect des droits fondamentaux.

De manière générale, il accueille positivement la mise en place de Frontex, mais se montre bien plus méfiant quant aux frontières intelligentes. Il a ainsi exprimé des réserves sur le vaste déploiement de moyens technologiques et sur le traitement massif des données à caractère personnel proposés à des fins de gestion des frontières extérieures, réserves encore renforcées par l'éventualité de l'octroi aux responsables du maintien de l'ordre d'un accès à ces données et de l'établissement d'un lien avec le système d'information sur les visas. Par ailleurs, les coûts prévus des technologies employées pour les frontières intelligentes, au regard des doutes concernant leurs avantages, n'ont pas rassuré le Parlement. Dans sa résolution du 12 septembre 2013 sur le second rapport sur la mise en œuvre de la stratégie de sécurité intérieure de l'Union européenne, il affirme en effet que «la mise en place potentielle de nouveaux systèmes informatiques dans le domaine des flux migratoires et de la gestion des frontières, par exemple dans le cadre de l'initiative sur les frontières intelligentes, devrait être examinée avec prudence, notamment au regard des principes de nécessité et de proportionnalité». Il a récemment complété sa position par une question orale à la Commission et au Conseil en septembre 2015, par laquelle il leur demande de préciser leur position sur l'accès des responsables du maintien de l'ordre au système ainsi que sur la pertinence, en la matière, de l'arrêt de la Cour de justice d'avril 2014 relatif à la directive sur la conservation de données (voir fiche 5.12.8). Il leur demande également, ce qui est révélateur, s'ils estiment que le système d'entrée/sortie et le programme d'enregistrement des voyageurs apportent «des réponses appropriées ou adaptées à la situation, actuelle et à venir, aux frontières extérieures de l'Union européenne».

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