La méthode "CIRDI" pour le règlement des différends sur les investissements

En cas de différend entre un Etat-partie à une Convention d’investissement et un investisseur ressortissant de l’autre Etat-partie, un nombre croissant de Conventions prévoient qu’il sera résolu par recours au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Depuis le début des années 1970, une interdépendance s’est développée entre les deux ordres conventionnels, c’est-à-dire entre le régime juridique défini dans des Conventions d’investissement et le système de procédures établi par la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats.


1. La Convention de Washington et le droit international relatif aux investissements étrangers

A titre préliminaire, rappelons que celle-ci est entrée en vigueur le 14 octobre 1966, lorsque vingt Etats l’eurent ratifiée. La plupart des Etats ayant conclu des Conventions d’investissement sont actuellement partie à la Convention de Washington, et vice-versa. Au début des années 1980, 84 Etats avaient signé la Convention de 1965, et 79 l’avaient ratifiée, parmi lesquels divers Etats qui avaient à l’origine émis des réserves à l’égard des procédures internationales ainsi créées. La progression des ratifications montre le niveau élevé d’adhésion de la communauté internationale au système du CIRDI, à l’exception de la plupart des Etats d’Europe orientale et d’Amérique latine. Le cercle des Etats parties à la Convention de Washington est autre que celui des parties aux Conventions d’investissement ; l’Arabie Saoudite, par exemple, a ratifié la première sans être partie prenante aux secondes. Cependant, un examen comparatif des deux listes d’Etats atteste qu’il existe une substantielle concordance entre elles.

La Convention de Washington a institué une organisation internationale, le CIRDI, et elle a défini deux procédures pour le règlement des différends entre Etats et investisseurs étrangers : la conciliation et l’arbitrage. Le CIRDI, par lui-même, ne concilie ni n’arbitre ; il procure aux parties des moyens pour l’instauration de Commissions de conciliation et de Tribunaux arbitraux. A ce jour, la procédure de conciliation est demeurée inutilisée. En ce qui concerne l’arbitrage, depuis 1971, date de la première demande d’arbitrage, dix-huit différends ont été soumis au CIRDI ; six d’entre eux ont abouti à un règlement amiable et à un arrêt de la procédure entamée ; trois affaires seulement ont été résolues par des sentences arbitrales définitives. Ajoutons que le Centre a institué en 1978 une « Facilité additionnelle », qui se situe pour l’essentiel hors du champ des règles de la Convention de 1965, et qui n’a pratiquement pas été utilisée à ce jour.

Tels sont les éléments de fait. Il ne paraît guère possible, à ce stade, d’émettre une opinion sur les résultats obtenus par l’institution du CIRDI; pour certains auteurs, ces « premiers pas » constituent un démarrage prometteur ; d’autres les estiment médiocres. Au delà de la procédure contentieuse proprement dite, il faudrait tenir compte de l’effet préventif joué par l’existence d’une « clause CIRDI ». Il est fort probable que l’ombre d’un arbitrage international ait incité des parties à trouver préalablement une solution négociée à des différends éventuels ; mais, à l’évidence, l’importance de cet effet est difficilement estimable.

Du point de vue du régime juridique créé par la Convention de Washington, plusieurs aspects sont à mentionner.

a) Des investisseurs étrangers, sujets de droit international.

Sous certaines conditions, un investisseur étranger se voit reconnaître par la Convention de 1965 une capacité juridique propre de recours devant un tribunal international, de manière indépendante par rapport aux droits et à la volonté de son Etat national. Et cette capacité s’exerce directement à l’encontre d’un Etat étranger. Par là, et aux seules fins de la Convention de 1965, un étranger devient sujet de droit international, titulaire de droits spécifiques, et bénéficiaire d’une capacité juridique limitée. Cet aspect rejoint des tendances relatives aux accords d’investissement, qui ont été analysées précédemment. Mais il les ramène aussi à des proportions conformes au droit. Dans le cadre de la Convention de 1965, si un investisseur étranger se voit conférer une capacité limitée de sujet de droit international, c’est de par la volonté explicite des Etats concernés, et dans les limites du texte conventionnel. Cela étant, « il ne faut jamais oublier », selon les termes de Reuter, « que l’introduction des particuliers dans un contentieux international a toujours des caractères révolutionnaires par rapport aux structures traditionnelles du droit international ». Il n’est guère surprenant, dans ces conditions, que la Convention de Washington se soit heurtée aux objections de ceux qui ne reconnaissent la communauté internationale que sous l’angle d’une société inter-étatique.

b) Le consentement des parties.

Le système entier de la Convention de 1965 repose sur une base consensuelle. Selon le Rapport des Administrateurs de la Banque mondiale, « le consentement des parties est la pierre angulaire de la compétence du Centre. Ce consentement doit être donné par écrit ; une fois donné, il ne peut plus être retiré unilatéralement ». La ratification de la Convention, rappelons-le, ne vaut pas consentement d’un Etat. Celui-ci doit intervenir entre l’Etat et l’investisseur étranger concernés, selon des modalités que l’on précisera.

Le principe de l’autonomie de la volonté est donc consacré avec éclat par la Convention de Washington. Il s’applique non seulement à la compétence du CIRDI, mais aussi aux règles de droit sur la base desquelles un Tribunal arbitral doit statuer. La place conférée à l’autonomie de la volonté est à la fois un facteur de souplesse et un facteur de sécurité juridique. Elle confirme que, face à la diversité des situations et des relations d’investissements internationaux, le recours au critère de l’intention des parties s’avère actuellement d’une importance primordiale.

c) Le non-épuisement des recours internes.

Dans le droit traditionnel de la condition des étrangers, le particulier lésé par un fait attribuable à un Etat doit, en premier ressort, épuiser les voies de recours disponibles dans l’ordre juridique de l’Etat en cause. Ce n’est ordinairement que dans le cas où le particulier étranger subirait un déni de justice que son Etat national pourrait, à sa discrétion, prendre fait et cause pour son ressortissant et engager la responsabilité internationale de l’autre Etat devant une juridiction internationale. Le caractère fondamental de la règle de l’épuisement des recours internes a été mentionné. D’un autre côté, les incertitudes de la notion de déni de justice ne sont plus à rappeler, ni les délais et les coûts matériels que l’application de la règle entraîne fréquemment. En outre, la possibilité de recours à une instance internationale est limitée, en droit traditionnel, à la mise en cause d’une responsabilité de l’Etat qualifiée de délictuelle, qui est apparue peu adaptée à certaines réalités économiques contemporaines.

La Convention de Washington a inversé la règle. Plus précisément, sans prétendre affecter le droit international général, elle stipule que le consentement des parties à l’arbitrage implique de leur part une renonciation à l’exercice de tout autre recours. En conséquence, l’Etat partie à un différend ne peut pas exiger que les recours internes soient épuisés, et l’investisseur ne peut pas saisir une autre juridiction. La compétence du CIRDI, d’autre part, s’étend à tout « différend d’ordre juridique », terme qui serait difficilement assimilable à la notion de déni de justice. A la règle de l’épuisement des recours internes, propre au droit de la condition des étrangers, la Convention de 1965 substitue donc une règle de non-épuisement des recours internes, propre aux investissements étrangers en cause. Mais il ne s’agit là que d’une présomption ; comme base de son consentement, un Etat peut exiger que la règle de droit coutumier soit maintenue.

d) La renonciation à l’exercice de la protection diplomatique.

En contrepartie de la renonciation par l’Etat d’accueil à la règle de l’épuisement des recours internes, la Convention de Washington stipule que l’Etat national de l’investisseur renonce, en cas d’arbitrage, à l’exercice de son droit de protection diplomatique et à formuler une revendication internationale à l’encontre de l’Etat partie au différend. Cet aspect de la Convention est tout aussi remarquable que le précédent, en ce qu’il prend le contrepied d’un principe fondamental de droit international relatif à la condition des étrangers, et il a été fort remarqué. Le consentement à renoncer à la protection diplomatique a été qualifié de « Clause Calvo conventionnelle »; l’analogie peut être retenue, à condition de préciser que la renonciation émane de l’Etat national, qui a seul titre pour le faire, et qu’elle s’accompagne d’une alternative viable, l’arbitrage du CIRDI.

Le point essentiel à relever est que cette règle de la Convention de Washington dissocie, pour la première fois, les rapports juridiques entre Etats et étrangers des relations diplomatiques, militaires, idéologiques des Etats entre eux. Il n’est guère besoin d’épiloguer sur les aléas que la protection diplomatique entraînait pour des particuliers, y compris des investisseurs, et sur les abus auxquels l’amalgame des relations de pouvoir et du droit a donné lieu dans des rapports entre Etats. En dissociant le droit de protection de l’Etat national du droit de son ressortissant-investisseur, la Convention de Washington tend à éliminer la protection diplomatique classique et à la remplacer par un système juridiquement plus élaboré, dégagé des contingences politiques de la première. Par là, le droit des relations entre Etats et investisseurs étrangers est susceptible de progresser ; en même temps, les relations inter-étatiques ne seront plus grevées, au même niveau, par des conflits d’intérêt privés. L’évolution sera peut-être importante ; il suffit de rappeler que c’est un tel système, créé en 1965, que Borchard appelait de ses vœux en conclusion de son étude magistrale sur la protection diplomatique, datant de 1915.

e) L’équilibre des procédures.

Enfin, la Convention de Washington se caractérise moins par une réciprocité diplomatique formelle entre Etats-parties que par un souci d’équilibre, aussi rigoureux que possible, entre les droits et obligations des parties à un différend, Etats et investisseurs étrangers. Les conditions requises étant remplies, la saisine du CIRDI peut être effectuée à tout moment par un investisseur étranger qui s’estime lésé ; mais il ne faut pas oublier que le Centre peut aussi être saisi par un Etat, ayant des griefs à faire valoir contre un investisseur étranger. Si une sentence arbitrale est rendue contre un Etat, l’Article 54 de la Convention équivaut à une levée de l’immunité de juridiction de celui-ci dans les Etats-tiers parties à la Convention ; mais si une sentence intervient contre un investisseur, sa reconnaissance et son exécution sont sensiblement facilitées dans les Etats-tiers, car elle acquiert la valeur juridique d’un « jugement définitif d’un tribunal » de l’Etat en cause. Selon une autorité, cette disposition a été introduite pour répondre aux demandes de certains Etats, notamment de pays en développement, tout autant que pour renforcer le respect de la chose jugée en faveur d’investisseurs étrangers.

En résumé, la Convention de Washington a institué un système dit de procédures internationales, dans la mesure où elle ne contient pas de règles de fond concernant le traitement des investissements étrangers. Il n’est pas moins vrai que le système créé transforme, sur des aspects essentiels, le droit jusqu’alors applicable en la matière. A terme, il est probable que les nouvelles règles de procédure ne resteront pas sans influence sur le droit matériel lui-même. D’ores et déjà, le régime de la Convention de 1965 se démarque nettement du droit de la protection des étrangers, au sens classique du terme ; par certains côtés, il en représente l’antithèse.

2. Les références au CIRDI dans des Conventions d’investissement

Un nombre croissant de Conventions d’investissement contiennent une clause de référence au CIRDI. Toutefois, il est à noter que, du point de vue quantitatif, et pour les Conventions conclues à ce jour, une clause CIRDI n’apparaît que dans une minorité d’entre elles. Les délais nécessaires à l’évaluation du système créé en 1965, et aux ratifications de la Convention de Washington, expliquent aisément que fort peu de Conventions bilatérales conclues avant 1970 comprennent une référence au CIRDI.

Mais cette situation s’explique aussi par d’autres motifs. La Convention de 1965 a institué un système de procédures entre Etats et investisseurs étrangers, fondé sur le consentement des parties. Des pays exportateurs de capitaux semblent avoir voulu éviter qu’un accord inter-étatique, tel qu’une Convention d’investissement, n’interfère avec la relation semi-internationale établie entre la partie étatique et la partie privée. Ainsi, la Suisse s’est abstenue pendant longtemps d’inclure une clause CIRDI dans les projets de Conventions proposés par elle à d’autres Etats. Toutefois, la Convention d’investissement Suisse-Sri Lanka, conclue en 1981, a marqué une évolution en ce qu’elle contenait une clause détaillée de référence au CIRDI29. L’absence de clause CIRDI dans certaines Conventions résulte d’autre part de la position de refus adoptée par des pays importateurs de capitaux, soit qu’ils n’aient pas ratifié la Convention de Washington, soit qu’ils aient estimé inopportun d’en faire mention dans une Convention bilatérale. Ces réserves faites, il convient de remarquer que la plupart des Conventions postérieures à 1975 incluent une clause CIRDI ; ainsi, par exemple, la Convention Royaume-Uni-Corée.

Le contenu des clauses CIRDI des Conventions d’investissement varie substantiellement d’un texte à l’autre. Certaines sont limitées à une simple mention du CIRDI ou de la Convention de Washington, dont les effets ne sont pas toujours clairement discernables. D’autres sont détaillées, et précisent sur divers points importants le régime de la Convention de 1965. Les deux ordres juridiques deviennent alors complémentaires, la Convention bilatérale parachevant certains aspects de la Convention multilatérale, et celle-ci modifiant sensiblement le régime juridique de la première, de par le système de solution des différends qu’elle institue.

Cette complémentarité n’est nullement indispensable, et l’on se gardera pour le moment de dire qu’elle est souhaitable ; elle doit seulement être constatée. Le système créé par la Convention de Washington se suffit à lui-même, et son champ d’application s’étend nettement au-delà de conventions entre Etats. On peut en dire autant des Conventions d’investissement : le régime créé est auto-suffisant, il prévoit généralement un recours à l’arbitrage inter-étatique en cas de différend entre les Etats-parties, et les règles de fond qu’il instaure vont bien au-delà du système de procédures du CIRDI. Cependant, une tendance à l’interdépendance, ou à l’interpénétration des deux ordres juridiques existe et se développe. Ce sont ces relations que l’on examinera.

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