L'État, sujet primaire du droit international

Revenons aujourd'hui sur une thématique classique du droit international public: le rôle de l'État..;

L’apparition comme la disparition de l’État sont des faits juridiques, c’est-à-dire des faits auxquels le droit attache des conséquences juridiques. Plusieurs événements peuvent conduire à la création d’un nouvel État.

La sécession par exemple. Une partie du territoire d’un État se sépare, laissant subsister l’ancien État à l’intérieur de frontières réduites. Il y a alors deux États, l’ancien État qui demeure et le nouvel, né sur le territoire qui s’est séparé, qui a fait sécession. Ce fut le cas du Pakistan oriental qui se sépara du Pakistan pour créer le Bangla Desh en 1971; ou récemment, du Montenegro qui s’est séparé en mai 2006 de la Serbie auquel il était uni dans l’État de Serbie-Montenegro. En revanche, d’autres tentatives n’aboutirent pas, comme delle du Katanga au Congo ou du Biafra au Nigéria dans les années 60. Toutefois, il faut préciser que le droit international est en principe contraire à la sécession.

La dissolution ensuite. Dans cette hypothèse il y a apparition de nouveaux États et disparition de l’ancien État. Aucun des nouveaux États ne peut prétendre être le continuateur de l’État disparu. La différence avec la sécession est importante en ce qui concerne l’application des règles relatives à la succession d’États. Dans le cas de la sécession, l’État subsiste dans des limites plus restreintes mais cela est sans incidence sur son identité, alors que dans celui de la dissolution, l’ancien État disparaissant, le problème de la succession d’États se pose différemment. Ce phénomène s’est produit notamment en Europe de l’Est lors de l’éclatement de plusieurs États fédéraux. Ainsi, l’Union soviétique disparut en 1991 et par l’accord d’Alma-Ata du 21 décembre 1991 les États de la Communauté des États indépendants avaient décidé que la Russie succéderait à l’URSS comme membre de l’ONU, conservant ainsi son siège de membre permanent au sein du Conseil de Sécurité. La Yougoslavie a connu également ce phénomène de dissolution, avec l’avis du 29 novembre 1991 de la Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie qui avait estimé que la République socialiste fédérative de Yougoslavie était engagée dans un processus de dissolution et qui s’achèvera le 4 juillet 1992. EN 1992, c’est la Tchécoslovaquie qui se partage en Slovaquie et République Tchèque.

La création par la réunion ou la réunification de deux États également. On peut parler de réunification lorsque les deux États étaient jadis déjà unis. Ainsi, la réunification allemande en 1990 qui présente des aspects juridiques particuliers.

La création à la suite d’une décolonisation aussi. La Charte des Nations Unies énonce « le principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » à l’article 1§2. Affirmé par de nombreuses résolutions de l’Assemblée Générale, notamment la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960, résolution 1514, ce principe a acquis la valeur d’une règle coutumière. Il permettra la décolonisation de nombreuses possessions des puissances coloniales. La colonie se détache de la métropole et accède à l’indépendance. Il y a création d’un nouvel État mais l’ancien État subsiste amputé d’une partie de son territoire.

L’État est donc le sujet originaire du droit international.

L’État est un sujet originaire ou initial ou encore premier du DI, c’est-à-dire qu’il ne doit son existence dans l’ordre juridique international à aucun autre sujet, contrairement aux OI, par exemple, qui dérivent des États des États et sont créées par eux. Conformément aux principes du droit international, une entité constitue un État dès que trois éléments constitutifs sont réunis: le territoire, la population et le gouvernement ayant une autorité sur les deux. Il n’est pas nécessaire que la communauté internationale réagisse, prenne position pour constituer l’État, en revanche la reconnaissance par ses pairs lui permet de nouer avec eux des relations.
De sa qualité d’État, il va tirer certains attributs, comme la souveraineté.
En vertu du principe de la continuité de l’État, son identité ne sera pas atteinte par les changements qui pourraient l’affecter. L’État subsiste donc à la suite de modifications territoriales ou de changements de son gouvernement même radicaux, comme une révolution par exemple. retenir la fiction de la continuité de l’État, dans cette dernière hypothèse notamment, privilégie la sécurité juridique, mais cela n’exclut pas que le nouveau gouvernement obtienne des aménagements  de ses engagements.

Le territoire de l’État

La taille et la forme du territoire sont sans incidence sur l’existence de l’État. Ainsi, il existe des micro-États, des États formés de plusieurs îles, ou de plusieurs tenants. Le territoire de l’État est composé de trois éléments: territoire terrestre, territoire maritime et territoire aérien.

Pour la Cour Internationale de Justice (CIJ), « définir un territoire est définir ses frontières ». La frontière permet de séparer deux souverainetés ou deux espaces sur lesquels ne s’exercent pas les mêmes compétences; ainsi la frontière délimite les territoires de deux États mais elle peut parfois être une ligne entre le territoire d’un État et un espace non soumis à une souveraineté étatique mais destiné à un usage commun (ex. la haute mer).
Le choix du tracé frontalier est laissé aux États. Le droit international n’impose aucune obligation en ce domaine. Le plus souvent, la frontière est fixée d’un commun accord par les États voisins dans un traité de limites ou traité de frontières. Lorsque les négociations échouent et que les États ne parviennent pas à un accord, ils peuvent avoir recours à un tiers, médiateur, juge ou arbitre, qui les aidera ) fixer leur frontière, soit en énonçant des principes directeurs, soit en délimitant lui-même la frontière. Enfin, la délimitation peut être unilatérale lorsqu’elle concerne la frontière entre un espace soumis à souveraineté étatique et un espace international.

Apparu pour la première fois lors de la décolonisation de l’Amérique latine au XIXe siècle, le principe de l’Uti possidetis juris sera repris au moment de la décolonisation du continent africain (principe d’intangibilité des frontières) puis lors de la dissolution d’ancien pays d’Europe de l’Est. Ce principe est reconnu par la CIJ comme « un principe général, logiquement lié au phénomène de l’accession à l’indépendance où qu’il se manifeste. Son but évident est d’éviter que l’indépendance et la stabilité des nouveaux États ne soient mises en danger ». Les nouveaux États s’engagent à conserver les limites issues de la colonisation, qu’elles soient internes ou internationales; s’ils héritent des frontières existantes au moment de leur accession à l’indépendance, le principe n’interdit pas toutefois des modifications des tracés d’un commun accord entre États limitrophes.

La fixation de la frontière comporte plusieurs phases, de délimitation, démarcation et abornement.

Au niveau du deuxième élément constitutif de l'État, la population de l’État, ce qui est la prémisse c'est le fait que l’État ne peut exister sans collectivité humaine. La population est donc un élément constitutif essentiel. La population est l’ensemble des nationaux de l’État, c’est-à-dire les individus qui lui sont rattachés par un lien de nationalité.
Dès lors, le peuple ou la nation ne sont pas des éléments constitutifs de l’État. Il faut également séparer la population de la notion d’habitants qui englobe les étrangers vivant sur le territoire d’un État.

Enfin, le troisième élément, est le Gouvernement de l’État.

Un gouvernement effectif est le dernier élément constitutif de l’État. L’État n’existe que s’il possède un gouvernement ayant autorité sur la population et le territoire. Le gouvernement est l’autorité politique qui fait régner l’ordre à l’intérieur des frontières, représente l’État et exprime sa volonté à l’extérieur. Le DI ne s’attache pas à la forme de gouvernement. Il reconnait le « droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel, sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État » (AG, Rés. 2625). Par contre, le DI prend en compte l’effectivité du Gouvernement, sa capacité véritable à assurer les fonctions étatiques. Il s’agit de son aptitude à maintenir l’ordre sur le territoire en faisant appliquer les lois, mais aussi sa capacité à respecter les engagements internationaux qu’il a pris. Il est rare qu’un contrôle sur l’effectivité soit opéré, mais il arrive que les États refusent de reconnaître des États fictifs dont le gouvernement n’est pas effectif.
Une autre question se pose alors, celle de la reconnaissance de gouvernement lors des changements radicaux de gouvernement. La reconnaissance de gouvernement a por effet de rendre l’existence du gouvernement opposable à l’État qui reconnait avec les conséquences juridiques qui y sont attachées. La pratique étatique est variable sur cette question. Pour certaines doctrines il n’est pas nécessaire de reconnaitre le gouvernement car un changement de gouvernement n’intéresse pas les autres États. En revanche, pour d’autres la reconnaissance est d’importance pratique car elle a une incidence sur l’existence de l’État.
À la question du Gouvernement se rattache aussi celle de la souveraineté de l’État.

Selon J. Salmon, la souveraineté, « dans l’ordre international, caractère de l’État signifiant qu’il n’est soumis à aucun autre pouvoir de même nature ».

La souveraineté est donc attribut de l’État.

La souveraineté est l’attribut fondamental de l’État. Seul l’État est souverain. Si d’autres entités sont composées d’un territoire, d’une population et d’un pouvoir politique, comme les entités fédérées d’un État fédéral, elles ne sont pas souveraines et ne peuvent être qualifiées d’États au sens du droit international. Parmi les principes qui régissent les Nations Unies figure celui de l’égalité souveraine des États (art.2§1 Charte).
La souveraineté signifie l’indépendance (Sentence Affaire Île de Palmas, 1928). Les États souverains ne sont soumis à aucune autorité supérieure. Les États respectent la souveraineté et l’indépendance de leurs pairs en s’abstenant notamment de toute immixtion dans les affaires intérieures des autres États; ils pourront dès lors s’attendre à être traités de la même façon.
La souveraineté signifie aussi égalité souveraine des États. C’est une égalité juridique. N’étant soumis à aucune autorité supérieure nationale ou internationale, les États ont les mêmes droits et obligations en droit.
Le statut d’État ne varie pas selon la taille, la puissance, la richesse des États, en revanche le droit international peut prendre en compte ces différences pour appliquer des régimes différenciés aux États (ex. droit du développement). Chaque État doit respecter la souveraineté des autres États. Il respecte le droit des tours en ne portant pas atteinte à leur intégrité territoriale et en respectant leurs compétences étatiques.


L’État est un sujet immédiat du droit international. Il a la faculté de s’engager internationalement et d’être soumis aux règles internationales.
Ainsi, la Cour Permanente de Justice Internationale dans l’affaire du Lotus de 1927, affirmait:
« Le droit international régit des rapports entre États indépendants. Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci… Les limitations à l’indépendance des États ne se présument donc pas ».
L’État possède la personnalité juridique internationale, c’est une entité propre, indépendante des éléments qui la composent. Il est titulaire direct des droits et d’obligations dans l’ordre juridique international, les actes et les comportements de ses organes lui sont imputés. Il possède dès lors une capacité juridique complète. Ainsi, l’État peut produire des actes juridiques internationaux notamment conventionnels, en contractant avec d’autres États des obligations juridiques, c’est le Treaty making power.
Il peut nouer des relations diplomatiques et consulaires avec d’autres États, c’est le droit de légation.
L’État peut devenir membre d’organisation internationale dans les conditions définies par leur charte constitutive, il peut ester en justice et accéder aux procédures de règlement des différends.
Enfin, sa responsabilité internationale peut être mise en oeuvre en cas de faits internationalement illicites qui lui seraient imputables. L’État souverain bénéficie d’immunités pour ses biens et ses actes à l’étranger. Ils échappent à la compétence territoriale des autres États car il jouit d’une immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État, pour les actes de puissance publique ou les activités accomplies dans le cadre d’une mission de service public. De plus, les biens de l’État bénéficient d’une immunité d’exécution, ils ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée.

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