Compétence personnelle de l'État: principes et applications

L'Etat exerce sa compétence personnelle à l'égard de ses nationaux. Elle dépendra par conséquent des conditions d'attribution par l'Etat de sa nationalité.

On peut définir la nationalité comme le lien juridique qui rattache une personne à un Etat. Ainsi qu'en a disposé la Cour Internationale de Justice (CIJ), dans son arrêt du 6 avril 1955, dans l'"Affaire Nottebohm": "La nationalité est un
lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments joints à une réciprocité de droits et de devoirs; elle est, peut-on dire, l'expression juridique du fait que l'individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l'autorité, est en fait rattaché à la population de l'Etat qui la lui confère plus qu'à celle de tout autre Etat".

Né en Allemagne, établi au Guatémala en 1905, Mr. Nottebohm conserva des relations étroites avec l'Allemagne. A la veille du II ème conflit mondial il obtient, en moins d'un mois,la nationalité du Lichtenstein. Pendant la guerre traité par le Guatémala comme un ressortissant ennemi (incarcéré, biens confisqués). Le Lichtenstein prend fait et cause pour son national et porte l'Affaire devant la CIJ. Réponse: Si le Lichtenstein pouvait parfaitement décider d'attribuer sa nationalité à Nottebohm, il n'y a pour autant pas d'opposabilité de la nouvelle nationalité au Guatémala faute d'effectivité.
Bien que cette approche soit celle retenue par la doctrine, il faut indiquer que certaines décisions par la suite ont refusé d'appliquer totalement le principe de l'effectivité. On citera par exemple la sentence arbitrale du 20 septembre 1958, dans l'"Affaire Flegenheimer", entre les USA et l'Italie.

Pourront bénéficier de cette nationalité, non seulement des personnes physiques, mais aussi des personnes morales, comme indiqué dans l'arrêt de la CIJ, du 5 février 1970, dans l'"Affaire de la Barcelona Traction", entre la Belgique et l'Espagne.
Pour des "ensembles organisés" se rattachant à des engins susceptibles de se déplacer tels que les navires, les aéronefs, satellites etc... le moyen utilisé sera alors celui de l'immatriculation.
Par exemple, dans la Sentence arbitrale du 8 aôut 1905 dans l'"Affaire des Boutres de Mascates", il est affirmé que "en général, il appartient à tout souverain de décider à qui il accordera le droit d'arborer son pavillon et de fixer les règles auquelles l'octroi de ce droit sera soumis".

Chaque Etat est libre de fixer les règles d'acquisition de sa nationalité.
S'agissant des personnes physiques, on distingue:
• La nationalité d'origine: Elle peut être attribué à la naissance suivant un critère de filiation: on parlera de droit du sang (Jus sanguinis). Ou selon un degré variable. Mais elle peut être attribuée aussi selon un critère tiré du lieu de naissance: on parlera de droit du sol (Jus soli).
Par exemple, la réforme du code de la nationalité adoptée par le Bundestag le 7 mai 1999, entrée en vigueur le 1er janvier 2000,a abrogé la loi de 1913 sur la nationalité allemande qui se fondait uniquement sur le droit du sang. Le droit du sang est complété aujourd'hui par le droit du sol. Les adultes doivent désormais justifier de huit ans de résidence, d'une bonne connaissance de la langue et de la constitution, et d'un casier judiciaire vièrge de tout "délit grave". Les enfants nés sur le sol allemand de parents étrangers demeurant depuis plus de huit ans dans le pays possèderont la double nationalité jusqu'à leur 23 ans. Au delà, ils seront cependant contraints de faire un choix.
Il existe toutefois des exceptions. Par exemple,  le jus soli ne s'applique pas aux enfants d'ambassadeurs.

La nationalité peut être également obtenue par voie d'acquisition. Il s'agira de la nationalité obtenue après la naissance par mariage, option (lors de l'apparition d'un nouvel Etat), naturalisation, adoption. Autant de législations que de pays.
Certains  systèmes sont très particuliers. Par exemple, la constitution soviétique du 10 juillet 1918 octroyait la nationalité à tout travailleur étranger venant s'établir en Russie. En Israel, la "loi du retour" du 1er avril 1952 posait le principe selon lequel c'est le retour en Israel des juifs qui ont l'intention de s'y établir qui leur fait acquérir la nationalité israélienne.

Si la compétence de l' Etat est exclusive en ce domaine, il doit cependant respecter certains principes généraux du droit international public. On pourra citer par exemple le principe du rattachement effectif à un Etat que nous avons évoqué à propos de l'"Affaire Nottebohm".
Si ce principe n'est pas respecté, la conséquence sera l'inopposabilité de cette nationalité dans ses rapports avec les Etats tiers.

En outre, la liberté de l'Etat de légiférer sur sa nationalité pourra conduire à des conflits de nationalités. Conflits positifs, tout comme des conflits négatifs.
Parmi les conflits positifs on peut lister différents cas comme la pluralité de nationalités: pluripatridie. Cela arrive lorsque la législation prévoit par exemple que l'épouse peut acquérir la nationalité de son mari, ou l'autorise à conserver sa nationalité après son mariage avec un étranger ou simplement n'ait rien prévu en matière de perte de leur nationalité quand un ressortissant en obtient une autre.
Des  conflits négatifs peuvent survenir dans des cas d'absence de nationalité: apatridie.
Des conventions internationales tendent à atténuer les inconvénients qui en résultent : la Convention de New-York du 30 aôut 1954, la Convention de New-York, du 3 aôut 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, à l'initiative de la Commission du Droit International de l'ONU, ou la Convention de Strasbourg sur la réduction des cas de pluralités de nationalité, du 6 mai 1963.

Les individus n'ont pas un libre choix de leur nationalité, sauf en cas d'existence d'une convention sur un possible droit d'option dans les cas de cessions de territoires ou de sécession. Cela fut le cas pour les Accords d'Evian de 1962 pour les français établis en Algérie.

Il existe ensuite des situations particulières de rattachement.

C'est le cas notamment pour la nationalité des personnes morales.

Comme pour les individus l'Etat définit discrétionnairement les conditions dans lesquelles il accordera sa nationalité. Il existe plusieurs critères possibles: la loi de constitution; le siège social, le lieu d'incorporation (loi du lieu où on été accomplies les formalités qui donnent corps à la société), le lieu du contrôle (nationalité des actionnaires majoritaires, dirigeants effectifs).

En Franceil n'y a pas de critère unique.

En principe, un Etat ne peut exercer sa compétence personnelle en faveur de ses nationaux actionnaires d'une société étrangère.
Ainsi que l'a rappelé la CIJ, dans son arrêt du 5 février 1970, dans l'"Affaire de la Barcelona Traction", entre la Belgique et l'Espagne:"s'agissant d'actes illicites dirigés contre une société à capitaux étrangers, la règle générale de DI n'autorise que l'Etat national de cette société à formuler une réclamation".

En 1948 un juge espagnol prononce la faillite de la Barcelona Traction principale entreprise d'électricité d'Espagne. Constituée selon le droit canadien, majorité d'actionnaires belges. La Belgique porta l'affaire devant la CIJ. Réponse: le Canada aurait pu agir mais pas la Belgique, tant que la société existait.
Toutefois des exceptions sont à prévoir lorsque la société est dissoute: c'est ce qu'a rappelé la CIJ, dans son arrêt du 20 juillet 1989, dans l'"Affaire Elettronica Sicula", entre l'Italie et les USA, ou lorsque la société a la nationalité de l'Etat à l'égard duquel l'Etat national des actionnaire désire agir sur le plan international. Ce qui était le cas dans l'"Affaire Elettronica Sicula", contre l'Italie au profit d'actionnaires américains d'une société italienne.

C'est le cas aussi pour la nationalité des navires, aéronefs et satellites.

La nationalité des navires s'obtiendra par l'octroi du pavillon, selon les principes posés par les art.91 et 92 de la Convention de Montego Bay et la jurisprudence .
Quelques exemples remarquables: Sentence arbitrale, du 8 aôut 1905, dans l'"Affaire des boutres de Mascates", entre la France et la Grande Bretagne; et Sentence arbitrale, du 17 juillet 1986, entre la France et le Canada dans l'"Affaire du Filetage dans le golfe du Saint Laurent"optant pour le lien substantiel et l'effectivité de la juridiction et du contrôle).

L'attribution de la nationalité à un navire était autrefois considérée comme relevant de la compétence territoriale de l'Etat (le navire étant considéré comme un morceau du territoire). Mais cette conception ne pouvait permettre d'expliquer le droit de visite des navires des Etats neutres en temps de guerre, ni le fait qu'un navire étranger pénétrant dans le port d'un autre Etat se trouve soumis à la loi territoriale.
On en est ainsi venu à considérer que la compétence de l'Etat sur ses navires était une compétence personnelle. Que le navire était une "individualité" qui le rapprochait des personnes et qu'il pouvait être protégé comme les personnes, par les autorités nationales (aujourd'hui, rôle des consuls).

Pour ce qui est des aéronefs et des satellites, la situation est analogue pour les aéronefs et satellites qui obtiendront la nationalité par l'octroi de l'immatriculation.
Pour les aéronefs, on applique la Convention de Chicago, du 7 décembre 1944 (Convention on International Civil Aviation), alors que pour les satellites, la Convention de New York, du 14 janvier 1975 sur l'immatriculation des engins spatiaux.


D'autres cas particuliers existent.

D'abord, les ressortissants d'Etats associés. Il s'agit d'une situation voisine du protectorat. Ça a été le cas notamment dans les Iles Mariannes, Iles Marshall, Palau, Porto Rico, associés aux USA ou d'Antigua et Barbuda, associés à la Grande Bretagne.

Ensuite, dans le cas des Nationaux d'un pays sans représentation diplomatique, certaines compétences pourront être reconnues à un autre Etat, ayant des représentations diplomatiques, pour prendre en charge les ressortissants de l'Etat sans représentation.

Enfin pour les réfugiés la situation est très complexe car ils n'ont pas "formellement perdu leur nationalité", mais n'acceptent pas de se réclamer de la protection de leur Etat d'origine. Par conséquent, aucune autorité ne peut leur fournir des documents attestant leur identité, notamment des titres de voyage, et d'autre part, aucune autorité ne peut passer d'accord avec l'Etat de séjour pour assurer un traitement minimum.

La seule solution est alors l'établissement de conventions entre les Etats d'accueil sur l'établissement de pièces d'identités et conditions d'accueil. Parmi ces conventions, on peut citer la Convention de Genève du 28 juillet 1951, portant statut des réfugiés et des apatrides ou le Protocole du 31 janvier 1967.
En France, l'Office Français de Protection des réfugiés et des Apatrides (OFPRA), créé par la loi n°52-893 du
27 juillet 1952, accorde le statut de réfugié et veille à leur protection: attribution de carte de résident valable 10 ans, renouvelable qui permet de travailler et de s'inscrire au chomage; passeport valable 2 ans (sauf pays d'origine).


On pourra également se référer à l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, à la loi sur l'asile territorial du 11 mai 1998  et à l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 janvier 2000 « Gisti, France terre d'asile, etc ».

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